Arcom sanctionne Kick pour la diffusion du meurtre de Jean Pormanove

Le Jean Pormanove, victime d’une diffusion violente en ligne, est au cœur d’une polémique qui a mobilisé Arcom, l’autorité française de régulation audiovisuelle, après que la plateforme de streaming Kick ait réactivé la chaîne « jeanpormanove » le 20 août 2025. L’enquête, lancée depuis le siège d’Arcom à Paris, vise à examiner les pratiques de modération du service, tandis que le co‑fondateur et PDG Ed Craven se retrouve sous les projecteurs.
Contexte de l’enquête d’Arcom
Le 20 août 2025, Arcom a officiellement ouvert une enquête sur la façon dont Kick gère les contenus violents. L’autorité a immédiatement contacté la Malta Communications Authority, régulateur maltais responsable du contrôle de Kick, afin de coordonner leurs actions. Cette coopération transfrontalière est rare, mais le lien entre la juridiction française et la base de l’entreprise à Valletta (Malte) rendait la démarche incontournable.
Deux jours plus tard, le 22 août, Arcom a publié une déclaration cinglante : la réouverture de la chaîne de Jean Pormanove constituait une violation manifeste des obligations de prévention des contenus dangereux. C’est la première fois qu’une sanction française cible explicitement un flux lié à une mort réelle, ouvrant un précédent au sein du Digital Services Act (DSA) de l’Union européenne.
Les pratiques de modération chez Kick
Pour comprendre le pourquoi du comment, il faut remonter à 2022, lorsque Ed Craven a présenté Kick comme le « libertaire » de Twitch. La promesse était simple : des règles souples, voire permissives, qui permettraient aux créateurs de diffuser « tout ce que l’on veut, tant que ce n’est pas illégal ». En mars 2022, la plateforme a même brandi son refus de bannir les streams de machines à sous comme un argument marketing, affirmant que « plus de liberté, moins de censure ».
Le 6 février 2025, Kick a réécrit ses Community Guidelines. Le texte stipulait que les créateurs « trop bruyants, trop offensants » pouvaient être ignorés par les spectateurs, qui devaient « exercer leur libre arbitre en naviguant ailleurs ». Cette philosophie a attiré des figures controversées, comme le streamer américain Adin Ross, qui a migré sur Kick en 2023 après avoir été exclu de Twitch pour des propos haineux.
Parallèlement, la plateforme a mis en place un modèle de partage des revenus 95/5, offrant aux créateurs 95 % des recettes d’abonnement contre 5 % pour Kick. L’incitation financière à pousser le trafic à tout prix a souvent éclipsé les considérations de sécurité. En mars 2025, Kick a baissé les exigences d’admission au programme partenaire (250 suiveurs au lieu de 1 500) afin de « rendre la carrière d’artiste plus accessible », comme l’a expliqué la responsable exécutive « Santamaria », sans toutefois renforcer les filtres de contenu.
Les critiques se sont accumulées. Kristin Gillespie, co‑fondatrice de l’ONG Rights to Unmute, a déclaré en mai 2024 que Kick était devenu « un terrain de jeu pour les comportements dégénérés », tolérant des remarques sexuelles envers des mineurs et des scènes de violence physique. Le même constat apparaît dans un rapport de Gabb.com d’avril 2025, qui souligne que les seules restrictions introduites concernaient les flux de jeu d’argent, et même celles‑là restaient mal appliquées.
Face à la pression, Craven a prétendu, dans une interview Digiday de 2025, que la société avait investi « dix fois plus » dans la Trust and Safety et collaborait avec plusieurs fournisseurs d’IA. Pourtant, aucune donnée publique n’atteste d’une réduction significative des contenus violents ; Wikipédia note que, même en mars 2025, les actions de modération restaient limitées aux flux de casinos, laissant les scènes de meurtre largement non surveillées.
Réactions des parties prenantes
Après l’annonce d’Arcom, la direction de Kick a publié un communiqué vague, promettant de « revoir nos procédures de modération » et d’engager un audit externe. Le terme « revoir » (review) a été souligné par les analystes comme une reconnaissance tacite d’un échec, mais sans engagement légal concret.
Le Malta Communications Authority a indiqué qu’elle allait fournir à Arcom toutes les informations demandées, tout en rappelant que la plateforme devait se conformer aux législations maltaises et européennes. Aucun représentant de l’autorité n’a encore commenté les sanctions potentielles.
Du côté des créateurs, plusieurs streams populaires ont temporairement mis en pause leurs diffusions, invoquant la nécessité de clarifier les règles. D’autres, plus profitables, ont dénoncé une « politique de censure » qui, selon eux, menacerait l’écosystème de la liberté d’expression en ligne.
Implications pour la régulation européenne
L’affaire Kick‑Arcom arrive à un moment où le DSA impose aux plateformes très répandues des obligations de transparence et de retrait rapide des contenus illicites. Si Arcom obtient gain de cause, la décision pourrait servir de modèle à d’autres États membres, notamment l’Allemagne et l’Italie, qui ont déjà annoncé des enquêtes similaires sur les plateformes de streaming libertaires.
En Australie, le eSafety Commissioner a récemment indiqué que, dès le 10 décembre 2025, les réseaux sociaux seront interdits aux enfants de moins de 16 ans. L’affaire Kick vient donc s’inscrire dans une vague mondiale de durcissement des règles, où chaque faille technique devient un sujet de débat législatif.
Pour les utilisateurs français, le principal impact sera une probable réduction de la disponibilité de contenus violents liés à des faits réels. Les créateurs devront, à terme, prouver la conformité de leurs diffusions à travers des mécanismes de vérification d’identité et d’âge, ce qui pourrait augmenter leurs coûts de production.
Perspectives et prochains développements
Arcom a fixé une échéance « dans les prochains mois » pour que Kick publie un rapport détaillé sur ses pratiques de modération. Si la plateforme ne parvient pas à fournir des preuves tangibles, des amendes pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise sont envisagées, conformément au DSA.
En attendant, les observateurs du secteur recommandent aux créateurs de diversifier leurs canaux, notamment en se tournant vers des services plus établis comme YouTube ou Twitch, où les politiques de retrait sont plus clairement définies.
Enfin, le cas de Jean Pormanove restera, à n’en pas douter, un rappel brutal que la liberté d’expression en ligne ne doit pas devenir un prétexte pour la diffusion de violences réelles. Le débat est désormais lancé, et les prochains mois établiront le cadre juridique qui gouvernera la frontière entre liberté et responsabilité.
Questions fréquentes
Comment l’enquête d’Arcom affecte-t-elle les utilisateurs français de Kick ?
Si Kick ne parvient pas à prouver qu’il a renforcé ses procédures, la plateforme pourrait être contrainte de bloquer ou de retirer les flux jugés violents en France. Les créateurs devront se conformer à des exigences d’âge et de vérification d’identité, ce qui limitera l’accès à certains contenus aujourd’hui populaires.
Quelles sont les principales failles de la modération de Kick identifiées jusqu’ici ?
Les points faibles comprennent l’absence de filtres automatiques pour la violence réelle, la priorité donnée à la monétisation (revenu 95/5) au détriment de la sécurité, et un modèle de partenariat qui réduit les critères d’entrée sans renforcer les contrôles de contenu.
Quel rôle joue la Malta Communications Authority dans cette affaire ?
En tant que régulateur du pays où Kick est enregistrée, la Malta Communications Authority doit fournir à Arcom les informations demandées et assurer que la plateforme respecte la législation maltaise, qui est alignée sur le cadre européen du DSA.
Quelles sanctions le DSA prévoit‑il en cas de non‑conformité ?
Le DSA autorise les autorités à infliger des amendes allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise concernée, voire à imposer des obligations de retrait immédiat des contenus illicites.
Quel impact cette affaire pourrait‑elle avoir sur d’autres plateformes de streaming ?
Elle crée un précédent juridique qui incitera d’autres acteurs, comme Twitch ou YouTube, à renforcer leurs systèmes de modération afin d’éviter des enquêtes similaires dans d’autres États membres de l’UE.
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