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● Ils sont immigrés depuis quelques années, ne parlent pas toujours bien la langue et n'ont pas forcément de double nationalité. Grâce à une règle de l'International Rugby Board (IRB), ils peuvent néanmoins porter le maillot, les valeurs et l'espoir d'un pays qui n'est pas le leur. Un grand nombre de ces joueurs étrangers sont venus garnir les rangs de certaines équipes engagées pour la Coupe du monde. Le rugby serait-il devenu un sport mondialisé joué par des mercenaires ? Cette réflexion est plus que pertinente car la même question se pose dans les milieux du football depuis plusieurs années.


Le "Japonais" James Alridge © Getty Images

Changer de nationalité pour être international, c'est très commun. Trouvez un ancêtre, bénéficiez du pouvoir d'une fédération pour accélérer les démarches, emballé c'est nationalisé. C'est moins commun quand la détention de la nationalité ou d'un passeport n'est pas nécessaire. L'IRB permet ainsi depuis des années à un joueur d'être sélectionné dans un XV national s'il est inscrit dans la fédération de son pays depuis au moins trente-six mois consécutifs et s'il n'a pas déjà joué pour une autre sélection nationale. C'est l'article 8 d'un règlement porté par la tradition de diaspora anglaise dans les pays du Commonwealth. En exemple la sélection de Singapour, née en 1971 d'une rencontre entre deux locaux et des expatriés néo-zélandais et anglais pour jouer contre une équipe anglaise de passage.

Début septembre, James Arlidge donnait du fil à retordre aux Bleus en inscrivant deux essais, une transformation et trois buts, soit l'entièreté des points de son équipe, le Japon. Le demi d'ouverture néo-zélandais a joué quatre ans pour l'équipe d'Osaka, DoCoMo Kansa, de quoi lui ouvrir les portes d'une sélection, qui n'aurait sans doute jamais été vêtue de noir. Face aux Etats-Unis, les Italiens obtenaient le point de bonus grâce à un essai de pénalité glané par le pack. Ils avaient alors pu féliciter le travail accompli par les deux deuxièmes lignes Quintin Geldenhuys et Cornelius Van Zyl. Deux Sud-Africains arrivés en Italie quelques années plus tôt. Si les Anglais font peur, c'est notamment grâce à leur mêlée, au centre de laquelle se trouve Matt Stevens, qui a porté le maillot des sélections de jeunes d'Afrique du Sud, avant de rejoindre Bath en 2002. Ces quatre étrangers sont quelques exemples parmi tant d'autres de joueurs sélectionnés à la Coupe du monde (10 Japonais de nationalité étrangère !).

"LE RÉSULTAT DE LA PROFESSIONNALISATION ET DE LA MONDIALISATION"

Où commence leur légitimité ? En ayant habité le pays un certain nombre d'années ? En possédant un minimum de grands-parents natifs ? Ou, plus simplement et pragmatiquement, en étant bon sur le terrain ? Les commentateurs de France-Japon ont passé leur temps à faire la police des frontières. Comme si James Alridge s'appelait en fait James-le Néo-Zélandais-pas-très-japonais-Alridge. La question de l'identité nationale semble avoir imprégné les consciences depuis quelque temps en France. Méritent-ils de porter le maillot, de chanter l'hymne, de se sentir "suffisamment" patriotes ?

Cette situation est logique selon Patrick Mignon, sociologue du sport à l'INSEP : "C'est le résultat d'une logique professionnelle et des effets de la mondialisation. Si l'on se pose des questions sur le sentiment patriotique de certains joueurs, c'est dû à l'esprit exacerbé de compétition que réserve aujourd'hui le sport professionnel." Doit-on lutter, et si oui, comment ? Pour Patrick Mignon, "on ne peut pas ignorer les nouvelles pratiques nomades et les avantages en terme de confort de vie, et ensuite rigidifier les règles du sport. Il faut trouver un équilibre. Michel Platini a, par exemple, pensé à instaurer des quotas de joueurs étrangers dans les clubs de foot ; peut-être qu'on y viendra en sélections de rugby".

"Cette loi n'est pas logique, elle est pratique, selon l'entraîneur d'Albi, Henry Broncan. Au rugby, contrairement au football, tout le monde ne peut pas jouer contre tout le monde. Il y avait jadis une Coupe de France, mais aujourd'hui ce serait un impossible, il y aurait des accidents. Avec la professionnalisation, les écarts de niveaux se sont créés, et il faut bien essayer de le combler avec certaines mesures, et celle-ci permet en plus d'étendre le rugby dans le monde." En effet, combien de joueurs français garnissent les rangs algériens, espagnols, géorgiens, portugais, belges, etc. ? C'est ainsi que le rugby serait moderne, en étant international, démocratisé, nivelé. John Kirwan, le sélectionneur japonais, ne dit pas autre chose : "Les différentes influences sont bonnes pour la croissance du rugby japonais. J'en ai assez du problème des joueurs étrangers. On ne fait que suivre les règles de l'IRB, et en ce moment on a besoin des joueurs étrangers pour aider le Japon. Ils sont tous fiers de porter ce maillot. Le rugby est un sport formidable pour mélanger les origines."

A entendre son ouvreur James Arlidge, on décèle surtout du plaisir : "J'adore jouer pour le Japon. Presque toute les nations ont des joueurs d'origine étrangère, c'est partout pareil. Avec mes coéquipiers, on est très bons amis et on passe beaucoup de temps ensemble." Des mots qui font écho à ceux de Tony Marsh prononcés dans Libération, lui qui a jadis été international français, trois ans après avoir fait le voyage Nouvelle-Zélande–Clermont : "Pour un Néo-Zélandais, jouer trois quarts centre avec l'équipe de France, c'est fou. Gamin, j'ai été élevé dans l'admiration des centres français, leur créativité, leur instinct... Le french flair, quoi !" A leurs yeux, la logique du sport importe davantage que l'identité personnelle. Ils font du sport là où ils font du sport, peu importe les digressions communautaires. Leur rugby est un sport où tout le monde a sa chance quelque part dans le monde et au diable le protectionnisme.

"LA LOI DU RUGBY SUPÉRIEURE À LA LOI PATRIOTIQUE"

Professionnalisation galopante, la libéralisation des transferts de joueurs : difficile de ne pas trouver une analogie avec le football des années 80. Trente ans plus tard, le résultat est raconté par Sébastien Chavigner, maître de conférences en sociologie à Sciences Po Paris et auteur d'un mémoire sur la formation des footballeurs français : "Si le rugby est encore loin du fonctionnement du football, il ne serait pas étonnant qu'il en épouse l'évolution. Aujourd'hui, les jeunes footballeurs sont détectés, formés, recrutés, utilisés. Ce n'est qu'une maximisation d'un capital sportif. Les choix de carrière se font tôt et les 'clubs de cœur' existent de moins en moins, il n'est donc pas étonnant que les nations soient logées à la même enseigne de la profitabilité d'un potentiel. Entouré d'agents, le jeune footballeur est déconnecté vis-à-vis de la 'communauté nationale' et il est alors facile pour les fédérations étrangères de faire du lobbying et de faire des nationalités un marché. Verra-t-on bientôt une Qatar Academy pour le rugby, cette institution de formation et de nationalisation à l'adolescence ?" Et Jérôme Latta d'analyser, sur son blog Une balle dans le pied, la perte progressive du désir de représentation nationale. Ainsi les équipes nationales seraient devenues des sélections territoriales, un club du pays, une dream team des régions. Le rugbyman devient-il un mercenaire bonne patte dont l'attache nationale est désuète ?

Deux éléments pourraient jouer les garde-fous à cette dérive. D'une part, l'état d'esprit : quand l'entraîneur russe, Nikolai Nerush, doit prendre la décision de sélectionner Adam Byrnes, il fait appel à sa capacité d'adaptation avant tout. Le troisième ligne australien aux ancêtres russes fait aujourd'hui partie du XV de la Coupe du monde, mais il n'a pas été choisi à n'importe quel prix. Nerush expliquait un peu avant : "On verra s'il veut vraiment jouer pour la Russie et s'il s'entend bien avec l'équipe avant de prendre la décision finale." D'autre part : les sempiternelles valeurs de ce sport. "Le rugby compte davantage que le passeport, pour Patrick Mignon. A partir de trois ans dans un pays, on considère que le joueur fait partie d'une famille, on le récompense de sa loyauté. La loi du jeu est pour le moment supérieure à la loi patriotique. D'autant plus que la logique nationale est apparue après coup de la pratique du rugby à haut niveau. Par exemple, une grande majorité des clubs français ont été fondés par des étrangers." Lors d'un match contre les All Blacks, les Bleus ont déjà aligné un Anglais, William Crichton, et un Américain, Allan Muhr, qui évoluaient respectivement au Havre AC et avec le Racing. C'était en 1906.

Antoine Mairé (Le Monde)

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