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● Le tout puissant patron du football mondial se dit ravi que la liste des corrompus de sa fédération ait été rendue publique... dix années après avoir entravé sa publication. Bakchich publie l'intégralité du document.


Sepp Blatter ce mardi à Zürich © AP

« La FIFA est heureuse que l'ordonnance de classement de l'affaire ISL puisse désormais être rendue publique après l'arrêt rendu aujourd'hui par le Tribunal fédéral de Suisse, qui autorise la publication dudit document par le procureur de Zoug... »

Comme le démontre une fois encore le communiqué du 11 juillet du porte-parole de Sepp Blatter, à la FIFA plus ça change, plus c'est pareil. Pas avare d'un nouveau mensonge, fut-il grossier voire franchement obscène, Blatter fait mine d'oublier qu'au cours de ces 10 dernières années, il a mobilisé des ressources considérables et utilisé toutes les astuces du droit helvétique pour que la vérité sur le scandale ISL ne soit jamais rendue publique.

Les quelques bons connaisseurs de l'affaire largement couverte par Bakchich depuis un moment, en connaissent les raisons ; la « révélation » selon laquelle « le Président de la FIFA n'est pas impliqué dans l'affaire » résonne pour lui comme l'annonce d'une ultime victoire à la Pyrrhus.

P1, le joli surnom de Blatter

« P1 » comme l'ont désigné avec une pointe d'humour les magistrats helvètes, ne finira pas sa carrière pendu sous un pont de la Tamise comme le n°1 de la Loge P2, et c'est tant mieux. Pour autant, ses derniers mois de règne à la tête de la FIFA devraient logiquement prendre la forme d'un vrai chemin de croix. Et personne, pas même ses supporters les plus indulgents ne peuvent contester qu'il le mérite amplement.


© AP

Toutefois, afin d'écarter l'argument de ceux qui nous opposeraient l'hostilité de principe –certes bien réelle – que nous entretenons envers la gérontocratie corrompue agrippée aux commandes de la grosse machine à fric du foot-business mondial depuis plus de 15 ans, il nous a semblé opportun de donner la parole à Jens Sejer Andersen, un juge plus impartial, en traduisant son article paru le 10 juillet (« des questions sans réponse et des héros sans fanfare ») sur le site de l'association danoise Play The Game. Une association, rappelons-le, gérée par l'Institut Danois des Sports et financée par le Ministère Danois de la Culture, qui se consacre non sans un certain courage, à dénoncer les dégâts causés par la corruption dans le sport de haut niveau :

Mardi 3 juillet 2012 est une date qui vaut la peine d'être célébrée par le monde du sport et la société qui l'entoure. C'est le jour choisi par la Cour Fédérale, la plus haute autorité judiciaire suisse, pour déclarer que l'autonomie du sport n'autorise pas des associations indépendantes à se muer en une cour de récréation protégée, à l'usage d'individus avides et d'escrocs avérés.

La décision de la Cour Fédérale rendue publique le 11 juillet confirme celles rendues par des juridictions inférieures, selon lesquelles le public a le droit de connaître le contenu du dossier ISL et les noms de certains bénéficiaires de la plus grosse affaire de corruption sportive connue à ce jour.

Car il est maintenant établi que c'est l'ancien président et toujours président honoraire de la FIFA le brésilien Joao Havelange et son ex-gendre l'ex-président de la fédération brésilienne de football et membre du Comité Exécutif de la FIFA Ricardo Texeira, qui ont tenté sans succès d'empêcher que l'accord de 2010 entre les procureurs suisses, la FIFA et eux-mêmes, soit rendu public.

Nous pouvons aussi affirmer de manière catégorique que Havelange et Texeira avaient de bonnes raisons de garder l'affaire confidentielle : comme le soupçonnaient la plupart des observateurs, ils sont d'importants bénéficiaires de ce système de corruption de masse. Au total, ils ont perçu entre 14 et 22 millions de franc suisses de dessous de table.

De plus, les documents publiés révèlent que l'affaire ISL était plus importante encore que ce que l'on croyait jusqu'à hier. Le total des pots de vin versés par ISL aux dirigeants sportifs en contrepartie de droits marketing et de retransmission, a augmenté de 140 à 160 millions de franc suisses entre 1989 et 2001. Même aux anciens taux de change, ça dépasse aujourd'hui les 100 millions d'euros.

Après le départ déshonorant de Havelange du CIO en décembre dernier à 96 ans, quelques jours avant la date prévue pour sa condamnation et la démission tout aussi humiliante de Texeira, on pourrait penser que l'histoire se termine.

Mais ça pourrait bien n'être que le début de la fin. Le dossier ISL soulève un tas de questions, et nombreuses sont celles qui mènent directement au siège de la FIFA et à son président Sepp Blatter.

Les questions qui fâchent

Dans un communiqué, la FIFA fait mine de se réjouir de la décision de la Cour Fédérale comme si elle en était l'inspiratrice, alors que la FIFA et Sepp Blatter ont fait usage de tous les moyens politiques et légaux dont ils disposaient pendant plus de 10 ans pour étouffer les informations sur ISL.

Le rideau de fumée à base de relations publiques dissimule mal que le président de la FIFA a bien d'autres soucis à se faire que celui de la réputation de ses vieux amis brésiliens.

Même si la Cour Fédérale a décidé de masquer l'identité de ceux qui n'ont pas directement perçu des pots de vin, il est assez facile de reconnaître Sepp Blatter comme « P1 ».

Les documents judiciaires démontrent sans l'ombre d'un doute que la FIFA et P1 connaissaient les détails du dispositif de corruption et ont tenté jusqu'à la fin d'en protéger les bénéficiaires. La transaction de 2010 a d'ailleurs été acceptée par la FIFA à l'expresse condition que les autorités suisses renoncent à engager des actions judiciaires contre Havelange et Texeira.

En d'autres termes, pendant de nombreuses années, en ses qualités successives de secrétaire Général puis de Président de la FIFA, Sepp Blatter a permis à des amis et des alliés politiques de voler des fonds de l'organisation qu'il avait pour mission de gérer en bon père de famille.

Play The Game a toujours affirmé que le combat contre la corruption dans le sport ne devait pas se focaliser sur les individus mais sur les structures et les systèmes. Cette position n'est plus tenable aujourd'hui.

LA FIFA doit donc apporter des réponses à des questions gênantes. Elle n'est pas la seule, le Comité International Olympique doit faire de même :

  • la FIFA peut-elle être dirigée par quelqu'un qui pendant de nombreuses années, a permis que des actifs conséquents lui appartenant soient engloutis par un système de corruption aussi massive que sophistiquée ?
  • la FIFA peut-elle avoir pour président honoraire perpétuel, quelqu'un dont l'avidité et la corruption sont établies par des documents d'origine judiciaire ?
  • la FIFA peut-elle se contenter d'admettre que plus de 100 millions de francs suisses de pots de vin versés à certains de ses acteurs principaux ont simplement disparu, ou a-t-elle l'intention d'ouvrir ses livres et de rafraîchir la mémoire de ses dirigeants et faire preuve d'honnêteté intellectuelle sur son passé ?
  • d'autres fédérations sportives telles l'ATP en tennis, l'IAAF en athlétisme, la FINA en natation, la FIBA dans le basket qui ont entretenu des relations avec ISL peuvent-elles accepter que certains de leurs dirigeants actuels aient pu participer à ce système de corruption ?

Le CIO peut-il accepter que Blatter ait violé de manière flagrante son code Ethique, ou doit-il lui indiquer la porte de sortie comme à Havelange ? Contraindre Blatter à prendre une retraite anticipée pourrait bien sûr créer quelques soucis passagers à la FIFA et désorganiser le processus de réforme de sa gouvernance actuellement en cours. Pour autant, il doit être possible de trouver d'autres talents politiques dans les rangs du football mondial, quand bien même cela nécessiterait la convocation d'un congrès exceptionnel pour désigner un président intérimaire. D'ailleurs sa constitution prévoit que des vice-présidents puisse exercer le pouvoir.

Permettre au public mondial de découvrir la face cachée

Il est difficile de prévoir les conséquences à long terme des documents ISL. On peut néanmoins se réjouir du fait qu'aujourd'hui, on a donné la possibilité au public d'avoir une idée de la face cachée de la politique sportive.

Sans une connaissance et une pression publiques s'exerçant de toutes parts, les fautes systématiques de certains patrons du sport apparues dès la fin des années 70, auraient pu continuer une génération de plus. Les temps semblent enfin changer et c'est le bon moment pour remercier les héros anonymes qui ont rendu cela possible.

Contrairement à ce que vous pouvez croire, je ne pense pas en cet instant précis aux 'usual suspects' de Play The Game, ces journalistes d'investigation dont le travail acharné de plus de 10 ans, parfois non reconnu, a été décisif. Sans des journalistes comme Andrew Jennings, Jens Weinreich, Thomas Kistner et Jean-François Tanda, on ne parlerait pas aujourd'hui de réforme à la FIFA.

Il peut sembler étrange de ne distinguer que ces 4 noms. Mais ils se distinguent non seulement de la masse des reporters dociles qui sont prêts à recopier n'importe quel communiqué pourvu qu'ils soient reçus dignement aux grandes réceptions que donnent le football, mais aussi de ceux d'entre-nous qui se contentent de critiquer depuis la position confortable de leur bureau.

Ces quatre journalistes ont apporté quelque chose d'inestimable au débat sur la FIFA : des faits et des documents. On les a accusé d'exagération. Les faits prouvent que ce n'était pas le cas. Ils ont systématiquement fait preuve de modération quant à l'ampleur de la corruption qu'ils découvraient.

Il faut aussi évoquer le juge d'instruction Thomas Hildbrand qui n'a pas ménagé ses efforts pour extraire les dirigeants de la FIFA de leur bulle imaginaire de pouvoir absolu et de liberté d'abuser, pour les ramener aux réalités de la transparence, de la démocratie, des responsabilités sociales et des règles de droit. Il a ignoré toutes les pressions que la FIFA est capable d'exercer en Suisse et ailleurs. En enquêtant méticuleusement et dans la durée, il a apporté toute la vérité et la justice que l'on peut attendre d'un magistrat.

Vous trouverez ici a décision de la justice suisse dans son intégralité.

La difficile question du lancement d'alerte

Non, mon hommage principal aujourd'hui va vers ces gens dont nous ne connaîtrons sans doute jamais les noms. Ces individus qui ont découvert un jour que leur travail servait de mauvaises causes, qu'ils soutenaient un système incompatible avec leurs propres valeurs, bref qu'ils étaient impliqués dans un système corrompu.

Ils ont pris la décision difficile de mettre un terme à la loyauté qu'ils manifestaient envers leurs collègues, leur patron, leur entreprise, en prenant d'énormes risques personnels. Au lieu de courber l'échine en protégeant leurs arrières, ils ont décidé de donner l'alerte et de fournir photocopies, emails et témoignages qui ont permis aux journalistes et aux procureurs de faire leur part du travail.

Ils ne recevront ni récompense ni reconnaissance exception faite des satisfactions que leur prodigue leur propre conscience. Pour autant, ils sont les véritables gardiens des valeurs sportives et ils méritent nos plus chauds remerciements. Pour eux et tous ceux qui croient que le sport doit servir l'humanité et non un petit groupe de hauts dirigeants qui se gavent, mercredi 3 juillet est un jour qui vaut la peine d'être célébré.

bakchich.info

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