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● Il y a un an, un scandale frappait la Fédération française de football. Plusieurs responsables, dont le sélectionneur Laurent Blanc, avaient fustigé certains joueurs franco-africains formés en France de choisir le pays de leurs parents pour leur carrière internationale senior. Un chercheur français avait alors mis les pieds dans les plats.


Les Juniors français au dernier Mondial U20 en Colombie © AP

La farce sportivo-médiatique, les prises de position du monde politique, économique et intellectuel posent une question essentielle du sport : "Qu'est-ce qu'une équipe nationale?"

Les matchs internationaux de football ont commencé en Europe continentale au début du vingtième siècle. Après l'Autriche et la Hongrie en 1902, la France et la Belgique ont été les deux premières nations à s'affronter à Bruxelles le 1er mai 1904. Mais appeler ces équipes par le nom du pays qu'elles représentent signale déjà une ambiguïté fondamentale.

L'équipe de France de 1904 est surtout la sélection organisée par l'Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) qui est alors l'une des fédérations organisant le football en France. Il s'agit d'abord de réunir les meilleurs joueurs évoluant au sein d'une organisation sportive. Toutefois, la dénomination donnée à ces rencontres, on les appelle souvent "matchs inter-nations", entretient l'illusion que ce ne sont pas des fédérations qui sont représentées mais bien plutôt des États. Les hymnes nationaux sont joués, les couleurs nationales sont déployées par des organisations dirigées par des bourgeois communiant dans le mythe national et désireux de s'attirer les faveurs et les subsdides de l'État.

Le professionnalisme rampant vient subvertir cette mystique sportive nationale. Le gardien de but français Pierre Chayriguès clame haut et fort en 1929 n'avoir jamais accepté une sélection en équipe de France à moins de 1000 Francs, une somme conséquente à l'époque. Dès lors, la sélection devient aussi un argument à faire valoir dans des négociations salariales, même si les dirigeants conservent un pouvoir discrétionnaire sur la carrière de leurs joueurs. L'histoire de l'équipe de France est émaillée de conflits d'intérêts.

Ainsi, lors de la Coupe du monde 1978, les Bleus de Michel Platini couvrent de cirage les trois bandes blanches de leurs chaussures, faute d'avoir pu faire valoir ce qu'ils considéraient comme leurs droits. De même, l'élimination tragi-comique de novembre 1993 face à la Bulgarie au Parc des Princes, a pu être interprétée par Sepp Blatter, alors secrétaire général de la FIFA, comme une "faute professionnelle".

Une équipe nationale de football est donc d'abord la réunion de ceux que l'on suppose être les meilleurs joueurs issus d'une fédération nationale. Ils ne sont pas les représentants d'un État. Qu'on les sanctionne d'abord sur ce manque de professionnalisme dont ils n'ont pas, semble-t-il, le monopole. Et pour relativiser le psychodrame, je voudrais citer ce qu'écrivait la presse sportive française en juin 1934 après l'élimination des bleus, au premier tour de la Coupe du Monde disputée en Italie.

Dans un article intitulé "Essai... sur la dignité", Robert Perrier du quotidien L'Auto, l'ancêtre de L'Equipe, écrivait en effet le 6 juin 1934: "Tout de même! Ce ne sont plus des enfants, ces joueurs qui vont représenter le football français à l'étranger! S'ils n'ont pas compris la dignité de leur rôle, c'est qu'ils ne la comprendront jamais. S'ils n'ont pas compris qu'ils étaient un peu les ambassadeurs des qualités physiques de notre race, s'ils n'ont pas compris en lui sa fin propre et qu'il doit être un moyen de perfectionnement moral de l'individu, s'ils n'ont pas compris qu'en lessivant bien la caque celle-ci peut sentir moins le hareng... c'est qu'ils sont indignes du sport. C'est que le sport ne les a pas améliorés. C'est qu'on peut les renvoyer à leur fumure !" Nihil novum sub sole.

L'équipe de France suscite bien des passions. Il est donc inutile d'ajouter un peu plus de confusion au tohu-bohu médiatique. Certes, le football français n'est pas exempt des maux qui touchent la société française mais il suffit de regarder la composition de l'équipe de France et les matchs de Ligue 1 pour affirmer que le racisme n'y trouve guère sa terre d'élection.

Empruntons à nouveau à Ernest Renan l'interrogation « Qu'est-ce qu'une nation? », titre de sa célèbre conférence donnée à la Sorbonne en 1882, pour essayer d'éclairer un peu le débat. Qu'est-ce donc une équipe nationale ?

Pour évoquer le premier match d'une sélection française le 1er mai 1904 à Bruxelles (3-3), le quotidien L'Auto, ancêtre de L'Equipe, parlait déjà d'équipe de France. L'expression était sans doute abusive puisque ces joueurs vêtus de blancs ne représentaient que l'Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), l'une des fédérations omnisport française. Certes, les footballeurs européens plébiscitèrent alors une conception internationale et non transnationale du football en créant quelques semaines plus tard la FIFA. Seule une fédération représenterait chaque Etat-nation dans une organisation qui aimera se présenter dans l'entre-deux-guerres comme une « petite société des nations sportives ».

Ce choix d'un internationalisme défendant la nation a nourri ensuite l'amalgame entre équipe de football et nation. Or les équipes nationales ne représentent qu'une fédération nationale et non un Etat. Il n'y a que dans les pays comme la France où existe (depuis Vichy faut-il encore le rappeler) un lien organique entre fédération sportive et Etat (la délégation) qu'une telle assimilation peut avoir pour partie un fondement juridique.

Le distinguo est en tout cas d'importance car choisir ou non de jouer pour une équipe nationale, c'est d'abord vouloir jouer pour une fédération et non servir un Etat. Toutefois, le succès des matchs et compétitions « internations », comme on les appelait souvent dans l'entre-deux-guerres, a renforcé la fonction symbolique des sélections nationales. L'imaginaire national de pays humiliés par la Première Guerre mondiale (Autriche et Hongrie), de nations jeunes (Argentine, Brésil et Uruguay) a vite englobé le football.

Le style national identifié par la presse sportive a alors contribué à diffuser une représentation ethnoculturelle de la nation. En d'autres termes, une déclinaison sportive des idées de Herder. A la fin du XVIIIe siècle, ce philosophe allemand développa une conception essentialiste de la nation et de la langue qui seraient à ses yeux des dons faits aux hommes par Dieu.

Les Herder du ballon rond affirment ainsi que Brésilien serait, par nature, dribbleur, l'Anglais bon de la tête, l'Italien aurait du métier... On ne sait si Laurent Blanc a lu Herder mais sans doute les propos de comptoir tenus lors de la fameuse réunion de novembre 2010 étaient imprégnés de cette conception ethnoculturelle de la nation sportive. Le paradoxe dans cette histoire tient dans le fait que la France n'a jamais vraiment réussi à imposer une représentation footballistique d'elle-même. Jusqu'en 1958, c'est même la quête impossible d'un style national que poursuivent les Bleus.

Il existe sans doute de grands joueurs français, les centres de formations hexagonaux sont parfois de meilleurs exportateurs que les entreprises françaises, mais l'équipe de France n'incarne pas à l'étranger un style aussi indentifiable que ses homologues brésilienne, italienne ou anglaise. Sans doute est-ce le signe que l'équipe de France représente finalement bien la conception de la nation chère à Renan, celle de la nation élective que l'on choisit avec son coeur et sa raison et qui fait prévaloir le droit du sol sur celui du sang.


Ancien élève de l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, Paul Dietschy est agrégé et docteur en histoire. Maître de conférences à l'Université de Franche-Comté, il co-anime un séminaire sur l'histoire du sport au Centre d'Histoire de Sciences Po. Il travaille également depuis presque vingt ans sur l'histoire du sport et du football et a notamment publié en 2006 avec Patrick Clastres, Sport, société et culture en France du XIXe siècle à nos jours, (Paris, Hachette, coll. Carré histoire), et en 2008 avec David-Claude Kémo-Keimbou, Le football et L'Afrique, (Paris, EPA). Mon Histoire du football, (Paris, Perrin) est paru quelques semaines avant le mondial sud-africain de 2010.
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