À dix-huit mois de l’élection présidentielle, le paysage politique français semble s’être réécrit. Jordan Bardella, président du Rassemblement National, domine largement les intentions de vote avec 35 à 37,5% selon un sondage Elabe publié le 1er novembre 2025 pour La Tribune Dimanche et BFMTV. Ce score, en hausse de 4 points depuis avril, le place au même niveau que Marine Le Pen en 2017 — et même au-dessus dans certaines mesures. Le constat est clair : l’extrême droite ne fait plus partie du paysage politique marginal. Elle en est devenue le centre de gravité.
Une ascension inarrêtable pour Bardella
Les chiffres ne mentent pas. Dans ce même sondage, Bardella devance de loin tous les autres candidats potentiels. Derrière lui, Jean-Luc Mélenchon, leader de La France Insoumise, progresse lui aussi, avec 11,5 à 13% — une hausse de trois points, notamment grâce à une percée de six points chez les électeurs du Nouveau Front Populaire. C’est la première fois depuis des années que la gauche radicale semble retrouver une dynamique crédible. Mais ce n’est pas suffisant pour rattraper l’écart.
Le vrai choc, c’est la faiblesse de la droite modérée. Bruno Retailleau, ancien ministre de l’Intérieur, n’atteint que 8 à 8,5%. Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, pourtant anciens chefs de file des Républicains, stagnent à 3% et 5,5% respectivement. Une situation désespérée pour une famille politique qui, il y a dix ans, dominait l’échiquier. Même Édouard Philippe, président d’Horizons, ne dépasse pas 16 à 22% selon les instituts — un score qui, s’il était suffisant pour un second tour, ne permettrait pas de bloquer Bardella.
Le second tour : un scénario déjà écrit ?
Les simulations de second tour sont encore plus édifiantes. Selon un autre sondage, Odoxa-Mascaret, dévoilé le 28 octobre 2025, Bardella l’emporterait contre n’importe quel adversaire. Face à Philippe, 53% contre 47%. Contre Raphaël Glucksmann, chef de file de Place Publique, 58% contre 42%. Contre Mélenchon, 74% contre 26%. Et même contre Gabriel Attal, secrétaire général de Renaissance, 56% contre 44%. C’est une révolution : pour la première fois, l’extrême droite ne se contente pas de gagner un premier tour. Elle semble capable de l’emporter en finale.
Le twist ? Ce n’est pas un hasard. Les électeurs de la droite modérée, déçus par l’absence de projet clair, se tournent de plus en plus vers Bardella. Ce n’est pas seulement une victoire de l’extrême droite. C’est une défaite de la modération. Et les partis traditionnels n’ont toujours pas trouvé de réponse cohérente.
La gauche, entre espoir et impuissance
Si Mélenchon progresse, c’est surtout grâce à la désintégration du NFP. Les électeurs de la gauche radicale, épuisés par les divisions internes, semblent se rassembler autour de lui comme un dernier rempart. Mais les chiffres restent inquiétants : même avec 13%, il est encore loin du seuil de 20% qui permettrait de jouer un rôle décisif. Et quand on regarde les autres candidats socialistes — Olivier Faure à 5,5%, François Hollande à 6,5% — on comprend que la gauche n’a plus de figure unificatrice. Elle est fragmentée. Et cette fragmentation, c’est le cadeau parfait pour Bardella.
Les sondages Ifop et Cluster17, réalisés entre avril et octobre 2025, confirment cette tendance. Marine Le Pen, même si elle reste populaire, est en train d’être dépassée par son propre successeur. Bardella incarne une nouvelle génération : plus jeune, plus médiatique, plus efficace dans la communication. Et il n’a pas besoin de la légitimité historique pour séduire.
La droite en crise : qui va se présenter ?
Le silence des Républicains est de plus en plus assourdissant. Qui va se présenter ? Retailleau ? Wauquiez ? Bertrand ? Aucun ne semble capable de rassembler. Et si aucun ne se présente, la droite risque de se diviser entre soutien à Bardella et abstention — un scénario qui, selon les experts, pourrait lui coûter sa survie politique.
Le 11 avril 2027, ce ne sera pas seulement une élection. Ce sera un verdict. Sur la capacité de la République à se défendre contre l’extrême droite. Sur la capacité de la gauche à se réinventer. Et sur la mort ou la résurrection de la droite modérée. Pour l’instant, les chiffres parlent d’une seule voix : Bardella est en route. Et personne ne sait encore comment l’arrêter.
Le poids des sondages : une réalité ou une illusion ?
Les sondages ne prédisent pas l’avenir. Ils en reflètent l’état d’esprit. Et ce qu’ils disent aujourd’hui, c’est que la France est en pleine mutation. Les électeurs ne veulent plus de discours rassurants. Ils veulent du changement, même s’il est radical. Bardella, lui, propose une rupture nette. Mélenchon, une révolte sociale. Et les autres ? Des réformes en douceur, trop tardives, trop timides.
Le vrai danger, ce n’est pas la progression du RN. C’est l’absence de contre-pouvoir. Les partis traditionnels ont misé sur la peur de l’extrême droite. Mais ils n’ont pas proposé de vision plus attirante. Et maintenant, ils paient le prix.
Frequently Asked Questions
Pourquoi Bardella progresse-t-il autant alors que Marine Le Pen est en retrait ?
Bardella incarne une nouvelle génération : plus jeune, plus maîtrisant les réseaux sociaux, et moins associé aux controverses passées du RN. Son image est plus « normalisée » — il parle moins de l’immigration et plus de pouvoir d’achat, de sécurité ou d’éducation. Ce changement de ton, combiné à une campagne plus professionnelle, séduit les électeurs modérés qui, en 2017, hésitaient encore à voter pour Marine Le Pen.
Jean-Luc Mélenchon peut-il vraiment atteindre le second tour ?
Il le peut, mais c’est un pari risqué. Avec 13%, il est encore loin du seuil des 20% nécessaires pour être un candidat crédible. Il doit convaincre les électeurs du NFP de rester unis, mais aussi attirer une partie des électeurs de gauche modérée. Or, les sondages montrent qu’il perd des voix à chaque fois qu’il est confronté à une alternative plus modérée. Sa réussite dépendra de l’effondrement des autres candidats de gauche.
Pourquoi la droite modérée peine-t-elle à se mobiliser ?
Parce qu’elle manque de leadership, mais aussi de projet. Les Républicains sont divisés entre conservateurs, libéraux et modérés. Aucun candidat n’a réussi à unifier cette famille politique. Et quand les électeurs de droite voient Bardella proposer des solutions concrètes — même controversées — ils se demandent pourquoi ils devraient voter pour un candidat qui ne dit rien de clair. La peur de l’extrême droite ne suffit plus à motiver.
Les sondages sont-ils fiables à dix-huit mois de l’élection ?
Pas toujours. Mais cette fois-ci, la cohérence entre les instituts — Elabe, Odoxa, Ifop, Cluster17 — est exceptionnelle. Tous montrent une progression du RN et une faiblesse de la droite. Ce n’est pas un effet de mode : c’est une tendance structurelle. Les électeurs changent d’avis lentement. Ce qu’on voit aujourd’hui est le résultat de cinq ans de déclin des partis traditionnels.
Quel impact cela a-t-il sur les élections législatives de 2027 ?
Si Bardella gagne la présidence, le RN pourrait remporter une majorité relative à l’Assemblée nationale, ce qui serait historique. Même s’il ne gagne pas la majorité absolue, il pourrait bloquer les réformes du président élu. La dynamique du premier tour pèse lourdement sur les choix des électeurs aux législatives : les partis modérés risquent de s’effondrer dans les circonscriptions où le RN est fort.
Y a-t-il un scénario possible pour bloquer Bardella au second tour ?
Seulement un : une alliance inédite entre Mélenchon, Attal et Glucksmann pour un seul candidat de gauche et de centre. Mais cela suppose une réconciliation impossible aujourd’hui. Les rivalités internes, les méfiances historiques et les calculs électoraux rendent ce scénario irréaliste. Sans cette alliance, Bardella est en position de gagner — même s’il n’est pas aimé, il est perçu comme le seul capable de « faire bouger les choses ».