Tactique : Le Mondial a montré des limites et ouvert de nouvelles avenues
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03 Juin 2014
• En retenant deux joueurs évoluant au Cameroun dans sa liste de 23, Volker Finke ne savait certainement pas qu'il venait de consacrer des "ambassadeurs du football local" au sein des Lions Indomptables. Ce qui fait que le débat sur la qualité et la « compétitivité » des footballeurs du terroir est plus que jamais à l'ordre du jour.
Voker Finke a longtemps été dubitatif sur les "locaux" © DPA
Fausses raisons, vrais intérêts
Les plus malicieux de ces dirigeants, pour ne pas montrer que seuls les revenus tirés de la sélection des joueurs « locaux » les intéressaient, ont évoqué des raisons plus « morales » : sélectionner ces joueurs serait ainsi un encouragement à tous ceux qui évoluent au pays, parce qu'ils sauraient alors que les portes de l'équipe nationale ne leur sont pas fermées ; ils se frotteraient également au haut niveau du foot pour revenir tirer leurs coéquipiers du terroir vers le haut. Enfin, disaient-ils, étant donné le nombre important de bons joueurs opérant dans les championnats locaux, il serait injuste et incongru qu'il n'y en ait pas au sein des Lions.
Informé de cette campagne en faveur de la sélection des joueurs évoluant dans les clubs du pays au sein des Lions Indomptables, le sélectionneur national Volker Finke s'était alors fait le devoir d'assister à quelques rencontres du championnat camerounais de Ligue 1. Mais, après avoir regardé les matchs d'une dizaine de clubs, puis ceux de l'équipe nationale A', le technicien allemand, dans un élan de franchise auquel les camerounais n'étaient pas habitués à ce niveau de responsabilité, avait déclaré qu'il n'y avait pas de joueurs ayant le niveau international dans ceux qu'il avait vus.
Il n'en fallait pas plus pour déclencher la colère de dirigeants, organisateurs, entraineurs, et supporters de clubs locaux. Les déclarations de Finke ont été perçues comme une insulte, un mépris vis-à-vis du football du pays. La défense du football et des joueurs locaux a donc été érigée en cause nationale. Des journalistes, anciens footballeurs, analystes et observateurs ont été ralliés à cette cause, et les médias ont été pris d'assaut par ces militants d'un autre genre.
Finke cède à la pression et récolte la foudre
La pression a été si forte que Volker Finke a cédé, et a donc consenti à organiser à Yaoundé un stage de joueurs évoluant au pays. C'était peu avant le match amical contre le Portugal, et au terme de quelques jours passés avec ces joueurs « locaux », Volker Finke, qui avait retenu la leçon de sa franchise, avait alors déclaré avec plus de diplomatie qu'il verrait si un ou deux joueurs du terroir allaient être convoqués pour le stage final de préparation de Brésil 2014.
Parole tenue : Cédric Djeugoué et Loïc Feudjou de Cotonsport de Garoua ont été convoqués, et désormais ils font partie des 23 Lions Indomptables qui iront défendre les couleurs du Cameroun à la coupe du monde. Mais au lieu de se réjouir que Volker Finke ne se soit pas enfermé dans sa première opinion et a sélectionné ces joueurs « locaux » en ne les jugeant que sur leurs performances, les militants commis à la défense du football local sont plutôt montés au créneau pour vilipender le sélectionneur national.
Rancuniers, ils ne ratent plus aucune occasion pour moquer ce qu'ils considèrent comme une volte-face de Finke, donc une victoire pour eux. Certains poussent même le bouchon jusqu'à exiger que Volker Finke présente des excuses au peuple camerounais qu'il aurait offensé en minimisant la qualité du championnat et des joueurs locaux. Et tous ceux qui ont souvent soutenu que les joueurs du terroir ne pouvaient immédiatement être opérationnels au sein des Lions Indomptables pour la coupe du monde ne sont pas épargnés : on les traite d'aigris, de complexés, et d'autres gentillesses du même type.
Lorsqu'on s'intéresse de près à ce curieux débat qui tend à segmenter les Lions Indomptables en deux groupes constitués des joueurs dits locaux et de ceux qui évoluent à l'étranger, on réalise qu'il n'est pas tout à fait innocent. On veut faire croire qu'il s'agit de promouvoir et valoriser le football local, mais les objectifs sont en réalité plus égoïstes et même mesquins. On proclame le bon niveau de qualité des championnats et des joueurs à l'intérieur du pays, mais au lieu de laisser que cela soit apprécié sur le terrain, on veut imposer ce point de vue par le matraquage médiatique. On clame qu'en sport ce sont les résultats qui parlent, mais on refuse d'admettre que les résultats des clubs camerounais en compétitions africaines témoignent plutôt du niveau médiocre de notre football actuel.
Un débat vicié et hypocrite
Ce qui se passe en fait, c'est que les dirigeants-commerçants des clubs camerounais veulent se convaincre que les championnats du pays regorgent de très bons joueurs, afin que leur espoir de s'enrichir en les « vendant » à l'étranger ne s'évanouisse pas. Ils pensent qu'à force de répéter qu'il y a de très bons joueurs localement, ils pourront convaincre leurs « acheteurs » à l'étranger, même par la force de la transmission de la pensée que connaissent bien les parapsychologues.
Des entraîneurs camerounais travaillant au Cameroun (ça évite de dire « locaux » parce qu'il y a des entraineurs expatriés qui opèrent localement) soutiennent eux aussi que les championnats à l'intérieur du pays sont d'un bon niveau avec de bons joueurs, et on peut les comprendre : s'ils disent le contraire, c'est qu'ils admettent qu'ils font du mauvais travail et qu'ils ne sont donc pas compétents. Certains d'entre eux, clochardisés par des dirigeants de clubs véreux, espèrent qu'en ventant leurs joueurs, ceux-ci seront appelés en équipe nationale, puis transférés à l'étranger. Ils pourront alors bénéficier de la générosité de leurs anciens poulains qu'ils ont mis en lumière, au nom du devoir de gratitude.
Il y a aussi des agents de joueurs qui militent pour la valorisation tous azimuts des championnats et joueurs du pays, pour ne pas contrarier les organisateurs de ces compétitions qui sont incontournables au moment de monter toutes les combines qui entourent souvent les transferts de joueurs au Cameroun. Ils savent aussi que, plus on vante les mérites des championnats et joueurs locaux dans les médias, plus cela nourrit leur argumentaire lors des transactions autour des transferts. C'est pour cela qu'ils n'hésitent pas à s'octroyer discrètement les services de certains hommes de médias.
Parmi les militants de la valorisation du foot et des joueurs du terroir, il y a beaucoup de journalistes. Certains sont trop jeunes pour avoir vu un football d'une autre qualité au Cameroun, et il peut être compréhensible qu'ils vantent celui qu'ils couvrent. Ils ont entendu parler des Abel Mbengue, Zacharie Nkwo, Abed Nego Messang (paix à son âme) ou Jean-Lambert Nang, et ils veulent leur ressembler : pas question dans ces conditions de laisser croire qu'ils font des reportages enflammés de matchs insipides !
Certains autres journalistes-militants sont au service de dirigeants de clubs et d'agents de joueurs. Ainsi, à la place de l'info footballistique, ils servent à leur auditoire de la communication commerciale. Ils ne sont pas différents de leurs confrères qui émargent auprès des organisateurs des championnats du Cameroun en contrepartie de la publicité autour de ceux-ci. D'autres encore vantent les joueurs en espérant un retour d'ascenseur lorsque ceux-ci seront « en haut ».
La publicité des compétitions et des joueurs du pays est également assurée par d'autres individus aux profils divers, mais qui sont généralement intéressés par les fruits qu'on peut tirer du foot. On y retrouve des anciens joueurs et arbitres, des juristes, des financiers, des mercaticiens etc. Ils offrent ou envisagent de proposer leurs services aux dirigeants du foot camerounais, et personne ne comprendrait qu'ils recherchent des marchés dans un domaine qu'ils estiment médiocre. Certains d'entre eux, adeptes du populisme, veulent se construire une image de fervents patriotes qui soutiennent ce qui se fait au pays.
Les organisateurs des championnats locaux (LFPC et FECAFOOT notamment) revendiquent aussi la bonne qualité des compétitions locales, et des joueurs qui les animent. On peut dire qu'ils sont dans leur rôle, puisqu'ils feraient un aveu d'incompétence s'ils admettent que le spectacle qu'ils organisent est de piètre qualité. Il est donc quasiment dans l'ordre des choses que leur budget de communication serve pour une part relativement importante à s'assurer la « collaboration » des médias et de certains « leaders d'opinion » pour promouvoir leurs championnats et leurs footballeurs.
Les Lions Indomptables sont uns et indivisibles
Ce débat sur la « compétitivité » des footballeurs camerounais évoluant dans le pays ne peut pas être innocent, lorsqu'on réalise qu'il n'a cours que lorsqu'il s'agit de la sélection au sein de l'équipe fanion des Lions indomptables. Les sélections inférieures ne bénéficient pas du plaidoyer des militants qui défendent la qualité du foot local et de ses joueurs. On n'a donc pas besoin de lunettes spéciales pour voir que ce débat est impulsé et nourri par des intérêts mercantiles, la sélection A étant celle qui est porteuse de promesses de gains importants. D'ailleurs le double-langage que tiennent les défenseurs des championnats locaux du Cameroun est assez révélateur : comment peut-on en même temps soutenir que l'admission en sélection nationale soit uniquement fondée sur le mérite, et demander que les joueurs « locaux » aient un quota de places qui leur est réservé d'office pour les « encourager » ?
« Pour être convoqué dans les Lions Indomptables, il faut évoluer à l'étranger, et cela n'est pas normal ». Voici l'une des phrases favorites des militants chargés de la valorisation des joueurs locaux. Mais combien de joueurs « locaux » sont restés au pays après une convocation dans les Lions qui leur a permis de poser en photo avec Samuel Eto'o ou Nicolas Nkoulou aux couleurs du Cameroun ? Presqu'aucun. C'est dire que la sélection en équipe nationale est utilisée comme une mise en vitrine en vue de futurs transferts à l'étranger. Cédric Djeugoué est célébré aujourd'hui comme joueur « local » qui montre « qu'il y a beaucoup de bons joueurs dans le pays » ; lorsqu'il sera transféré à l'étranger dans quelques mois, devra-t-on privilégier un joueur « local » à sa place ?
Les utilisateurs habituels de l'expression « dans aucun pays au monde ... » parmi lesquels on retrouve les militants de la cause des joueurs « locaux » peuvent-ils dire dans quel pays au monde une discrimination entre les joueurs locaux et les joueurs expatriés existe en sélection nationale ? En France (pays qu'ils aiment citer en exemple), on a tenté d'instaurer des quotas discriminatoires dans les sélections nationales de jeunes, on a vu le tollé que cela a généré. Combien de joueurs brésiliens, argentins, ou français évoluent dans leurs pays respectifs ? Cela suscite-t-il un débat comme celui qui a cours au Cameroun ?
Et puis, d'une manière générale, ce sont souvent les meilleurs joueurs qui sont sollicités à l'étranger, car il est constant qu'on n'exporte pas facilement un mauvais produit. Devrait-on alors se priver des meilleurs joueurs du pays à cause d'une politique de quotas qui aurait pour finalité la valorisation des compétitions locales ? La valeur du championnat d'un pays est-elle jugée simplement sur la quantité de joueurs de l'équipe nationale qui en sont issus ?
Les meneurs du débat sur la présence nécessaire des joueurs locaux au sein des Lions indomptables, l'ont vicié exprès. Ils font croire que ceux qui estiment que les joueurs « locaux » n'ont pas le niveau international nient la présence de footballeurs talentueux à l'intérieur du pays. On voit bien qu'ils n'ont pas d'autres arguments que le patriotisme (ou le nationalisme) pour soutenir leur plaidoyer. Mais il est clair que personne, même pas Volker Finke, n'a dit que les joueurs de talent ont disparu dans ce formidable vivier de footballeurs qu'est le Cameroun. Ce qui est dit c'est que ces joueurs sont très souvent mal formés, mal préparés, mal encadrés, et ils accumulent ainsi un retard conséquent par rapport au football de haut niveau international. Ne pas le reconnaître, c'est faire preuve, soit de cécité intellectuelle, soit de mauvaise foi, soit de mesquinerie.
Voilà donc un débat superfétatoire qui occupe tout l'espace médiatique au Cameroun, et qui alimente les discussions dans les chaumières, alors que toutes les énergies devaient converger vers une performance digne des coéquipiers de Joël Matip au Brésil. Oui, un faux débat, parce qu'au sein des Lions indomptables, il faut simplement des joueurs de nationalité camerounaise, bien affûtés et performants, qui sont capables d'aller glaner des titres et des positions prestigieux pour l'honneur de leur drapeau. Il faut laisser ce débat superflu et inopportun aux fossoyeurs masqués du foot camerounais qui ne recherchent que leur profit personnel en se cachant derrière un patriotisme trompeur. Au Brésil, Loïc Feudjou et Sammy Ndjock, Cédric Djeugoué et Allan Nyom représenteront le Cameroun : ils ne sont des ambassadeurs d'aucun championnat : ni camerounais, ni turc, ni espagnol.
Charles MONGUE-MOUYEME
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Commentaires
Si on vous comprend bien, il n'aurait pas fallu sélectionner Djeugoué ou Geudjou pour ne pas participer à la corruption des dirigeants de clubs? Mais alors comment aurait-on pu reconnaître que leur talent existe et se situait au Cameroun?