• On les appelle « observateurs avertis » ou « experts en football » ou « analystes de sport ». Avec la prolifération des médias et le grand intérêt des camerounais pour le foot, on les entend partout, assénant avec beaucoup de sérieux leurs « vérités » sur la gestion et la pratique du foot au pays de Patrick MBOMA. Mais ils ne sont pas toujours convaincants.


Pendant que les Lions trottinent, d'autres éructent © DR

C'est le match amical Allemagne-Cameroun du 1er juin 2014 (2-2) qui nous a décidé à parler de ces nouvelles races d'intervenants dans nos médias. Ils ont dit tellement de choses avant et après cette rencontre, qu'il était difficile de ne pas ressentir comme une overdose de leurs commentaires et analyses que nous subissons depuis quelques années. Mais avant de revenir sur certaines de leurs déclarations, il est bon que nous définissions ce qui nous semble être le profil de ceux qui exercent ce ministère de l'analyse footballistique dans nos médias.

Les dépositaires de La vérité

Ce sont souvent des journalistes qui revendiquent haut et fort l'appartenance à cette corporation. Journalistes sportifs quelquefois ou généralistes parfois, ils n'ont pas tous le même background : certains sont détenteurs de diplômes en journalisme, certains autres sont simplement détenteurs de parchemins de l'enseignement supérieur, d'autres encore sont issus de ces centres et écoles de formation privés qui délivrent des diplômes aux appellations pas toujours conventionnelles. Il y a aussi cette autre catégorie qui dit être formée sur le tas mais dans laquelle on compte beaucoup de débrouillards (parfois quasi illettrés) de la plume.

Ils sont très souvent excessifs : soit ils se font avocats du diable à fond, soit ils pourfendent tous les actes et tout le monde. Soit ils sortent la brosse à reluire et font usage du bréviaire de la flagornerie, soit ils dénigrent, règlent des comptes et insultent au gré des intérêts qu'ils défendent. Travaillant souvent dans des médias à l'audience limitée, ces journalistes écument les plateaux des radios et télés à forte audience pour se donner de la visibilité et espérer des sollicitations plus alléchantes. Ils disent très souvent une chose ici, affirment le contraire là-bas, sans jamais avouer s'être trompés, et ne vous avisez jamais de les critiquer, ils vous opposent leur répartie favorite : « on ne va pas faire le procès de la presse ! »

La deuxième catégorie des analystes-experts de nos médias se compose de ceux qu'on appelle les « techniciens du football », c'est-à-dire principalement les entraîneurs de foot. Ici aussi on a des entraîneurs diplômés, des anciens joueurs qui sont devenus entraîneurs à force d'exercer sur le terrain, des éducateurs plus ou moins formés, et des débrouillards qui s'auto-proclament techniciens du foot. Si certains d'entre eux essayent d'avoir un discours simple et adapté à la situation qu'ils analysent, la plupart d'entre eux débitent à n'en plus finir les expressions apprises ou retenues : « attaques placées », « bloc équipe compact », «défense en zone », etc. meublent leurs propos, et on a parfois l'impression qu'il s'agit d'un ennuyeux discours passe-partout.

Programmés pour prédire les échecs

Ces « techniciens du foot » qui vont le plus dans les médias ont souvent un agenda caché : certains lorgnent vers un poste d'entraîneur national, et ne prennent donc pas le risque de « tirer » sur la FECAFOOT ou le ministère des sports ; d'autres sont à la recherche d'un club et se mettent ainsi en exposition ; d'autres encore sont en quête de notoriété pour pouvoir « exister » dans le foot et en tirer des avantages. Le défaut qu'ils ont presque tous, c'est qu'ils oublient que le foot est un jeu et non une science exacte, qu'on ne peut pas avoir des certitudes définitives lorsqu'on travaille sur les êtres humains, et que les erreurs font partie intégrante du foot. Et quand on ne sélectionne pas certains de leurs joueurs protégés, alors ils oublient la solidarité de corps et critiquent vertement leurs pairs.

La dernière catégorie d'analystes et experts du foot qui officient dans nos médias est difficile à définir, et nous allons les appeler « les observateurs du foot ». Ici, on a des anciens dirigeants de clubs de foot, des footballeurs du dimanche, des spectateurs assidus de nos stades, des lecteurs-auditeurs-téléspectateurs fidèles de médias de sport, et des supporters de clubs. On ne sait pas trop comment certains d'entre eux se retrouvent dans les médias, mais certains autres profitent de leur proximité avec des hommes de médias pur s'incruster. Les médias étant en permanence à la recherche de « bons clients » pour les débats, les recommandations sont vite faites, et si l'intervention du « client » est relativement « piquante », son numéro de téléphone s'échange entre les journalistes.

Ces analystes-spécialistes du foot se recrutent dans toutes les professions, et certains profitent d'ailleurs de leur présence régulière dans les médias pour se donner plus de visibilité dans leur métier principal. On y retrouve aussi des chômeurs, parfois sans qualifications précises, qui espèrent se caser dans le milieu du foot ou celui des médias (on a souvent vu des analystes devenir reporters de matchs, ou carrément « journalistes »). Mais attention, quelques-uns, de plus en plus nombreux, parait-il, sont en réalité des chargés de missions au service des gestionnaires ou aspirants gestionnaires du foot camerounais, et leurs « analyses » sont toujours orientées dans le sens des sombres objectifs à atteindre.

La notoriété par l'abrutissement

Dans toutes les catégories décrites ci-dessus, on retrouve des malins qui ont beaucoup de mal à ordonner leurs idées, et à soutenir une argumentation de façon pertinente ; ils arrivent quand même à faire les intéressants en faisant la synthèse de toutes les interventions qu'ils écoutent et lisent ici et là (radios, télés, journaux, Internet). Comme des perroquets, ils répètent les thèses et les arguments de ceux qu'ils écoutent, mais, comme ils ne comprennent pas toujours le fond de la pensée des autres, ils sont vite irritables dans les débats. Ils s'éloignent alors du thème débattu, pour s'attaquer à la personne de leurs contradicteurs. Les plus téméraires essayent de prolonger les arguments qu'ils ont empruntés, mais ils s'égarent vite dans des contradictions qu'ils tentent de masquer en enflammant les débats.

On retrouve également des prétentieux qui martèlent ce qu'ils croient être des vérités immuables, surtout lorsqu'elles ont été dites par des personnalités qu'ils admirent et dont ils boivent les paroles. Pour se donner une image de visionnaires, ils se découvrent des dons divinatoires et prédisent les événements. En général, quand il s'agit du Cameroun, ils prédisent très souvent l'apocalypse, du moment où les dirigeants du foot ne font pas ce qu'ils prescrivent. Sauf que, très souvent, leurs prédictions ne se fondent pas sur grand-chose : par exemple, sur quoi peut-on se fonder pour affirmer péremptoirement que les Lions Indomptables seront à coup sûr 32ème/32 à la coupe du monde 2014 ?

Voici à présent quelques lieux communs que tous ces analystes-perroquets et experts-devins débitent régulièrement dans les médias du Cameroun.

-« En coupe du monde, la défense des Lions indomptables doit faire très attention, parce qu'à ce niveau, chaque erreur se paye cash ! »
D'accord, les joueurs sont d'un calibre élevé à la coupe du monde, mais si chaque erreur se payait cash, alors les scores seraient fleuves dans cette compétition. Non, en coupe du monde aussi on rate des buts, on manque des pénaltys, on fait des loupés. Il n'est pas vrai que chaque erreur cause un but. Si cela était vrai, alors les Lions aussi marqueraient beaucoup de buts, puisque leurs adversaires vont commettre beaucoup de fautes. A moins qu'ils ne soient pas considérés comme des joueurs de coupe du monde.

-« Une coupe du monde se prépare en 4ans, et le Cameroun ne l'a pas fait, donc les Lions y feront une piètre prestation. »
Quand on le dit juste ainsi, on a l'impression que dans les grands pays, la sélection nationale fait un stage bloqué de 4ans, et qu'on sait 4ans à l'avance quels joueurs iront à la coupe du monde, ce qui n'est pas vrai du tout. La préparation dont il s'agit ici concerne le projet de participation dans lequel la composition de l'équipe de joueurs et du staff n'est qu'une partie. A qui veut-on faire croire que la France savait en 2010 que Varanne ou Griezman ou Cabela iraient au Brésil en 2014 ? L'Espagne, à la même époque savait-elle que Diégo Costa prendrait la nationalité du pays pour aller à la coupe du monde ? Quand on parle des humains, on n'a que peu de certitudes quant à leur avenir, et on ne les cultive pas comme des plantes en laboratoire. Et puis, avec plus de 12 joueurs de 2010 présents en 2014, comment peut-on dire que le groupe Cameroun est constitué de façon improvisée ?

-« L'équipe du Cameroun est vieillissante, et ses résultats au Brésil seront pires qu'en Afrique du Sud en 2010 ».
Franchement, avec quels arguments soutient-on une telle prophétie macabre ? Que les joueurs camerounais ont tous régressés en 4ans ? N'exprime-t-on pas là un souhait guidé par la volonté de punir ceux qui gèrent le football du Cameroun ? Comment peut-on soutenir qu'il vaut mieux emmener des jeunes joueurs à une coupe du monde pour préparer la suivante, et affirmer qu'il fallait changer toute l'équipe des Lions Indomptables de 2010, alors qu'on devrait donc estimer que les Matip, Nkoulou, Song, Choupo Moting, Aboubacar Vincent étaient allés apprendre en Afrique du Sud en 2010 ?

-« Ce n'est pas Volker Finke qui établit la liste des joueurs de l'équipe nationale. »
Chaque fois que les Lions gagnent, ils se sont organisés eux-mêmes. Quand ils perdent, c'est Finke qui n'est pas à la hauteur. Ceux qui le disent ne réalisent même pas qu'ils dédouanent d'avance l'entraîneur allemand des résultats des Lions Indomptables. Mais ils montrent surtout qu'ils ont une mauvaise appréhension de la notion de responsabilité. Car tant que Volker Finke ne dénonce pas des pressions qu'il subirait, il reste le seul responsable de sa sélection. Cette volonté d'humilier le sélectionneur actuel des Lions Indomptables pour venger l'éviction de Jean-Paul Akono et sanctionner ceux qui l'ont fait est simplement la preuve qu'on se trompe souvent de cible dans les combats du foot au Cameroun.

La bile en guise d'arguments

-« On avait présélectionné Idrissou Mohamadou par souci d'équilibre régional ».
Encore une autre affirmation gratuite répandue dans les médias. Les Lions Indomptables sont justement le seul endroit où le principe d'équilibre régional n'est pas appliqué, et on les cite souvent en exemple de cohésion sans considérations ethniques. Maintenant que la liste des 23 pour Brésil 2014 est publiée, les tenants de cette thèse devraient peut-être nous dire si l'équilibre régional est respecté cette fois. C'est vraiment faire feu de tout bois que de voir les choses sous ce prisme.

-« Eto'o ne peut plus tenir 90mn sur un match de haut niveau, son âge ne le lui permet plus».
Le match qu'il a disputé contre l'Allemagne ne le démontre pas. Pendant 89mn, avec un genou en délicatesse, on ne l'a pas senti émoussé du tout. Et même les matchs antérieurs des Lions Indomptables n'ont laissé voir aucun signe particulier de fatigue d'Eto'o. Pourquoi pense-t-on que Pirlo (35ans-Italie), Klose (36ans-Allemagne), Xavi (34ans-Espagne), Marquez (35ans-Mexique), Forlan (35ans-Uruguay), Mondragon (42ans-Colombie), Olic (34ans-Croatie), puissent tenir pleinement leur place à la coupe du monde, et pas Samuel Eto'o ? Peut-on soupçonner Eto'o d'avoir une mauvaise hygiène de vie alors que tous ses entraîneurs ont toujours affirmé qu'il était un grand professionnel ?

-« Les Lions sont des mercenaires, quand on défend son drapeau, on ne met pas l'argent en avant. On doit leur apprendre le patriotisme ».
Faut-il confondre patriotisme et bénévolat ? On devrait donc ne pas rémunérer les militaires pour mieux jauger leur degré de patriotisme ! Ceux qui pensent ainsi que seuls les joueurs de football de l'équipe nationale ont un devoir de patriotisme ont une conception très spécieuse de ce concept. Le fonctionnaire qui détourne l'argent du pays est-il patriote ? L'entrepreneur qui corrompt les fonctionnaires pour gagner des marchés qu'il surfacture et exécute mal est-il un patriote ? Ce petit douanier qui érige des immeubles dans les villes en organisant la fraude aurait-il des leçons de patriotisme à donner aux Lions Indomptables ? Si réclamer le salaire qui récompense les efforts qu'on accomplit en exerçant son métier fait d'un individu un mercenaire, alors notre administration et nos entreprises privées sont composés de mercenaires.

Nous ne pouvons pas reprendre toutes les déclarations de ce genre qui sont répétées dans les médias du Cameroun par des analystes, à la manière de perroquets qui ont bien appris leur récitation. Pas plus que toutes les prédictions macabres d'experts-prophètes qui lisent dans la boule de leurs rancœurs et leurs frustrations, les malheurs qui attendent les Lions Indomptables à chaque match. Ils avaient prédit que les Lions ne se qualifieraient pas pour Brésil 2014, et quand cela s'est fait, ils ont estimé que c'est grâce au coup de pouce de la CAF que ce succès a été possible. Ils ont promis un carton de buts dans les filets de Charles Itandje face à l'Allemagne, et quand cela n'est pas arrivé, ils ont dit que les coéquipiers de Podolski ont levé le pied, et même que Puma aurait arrangé ce match nul.

La coupe du monde démarre, le football-jeu va prendre le pouvoir pendant un bon mois, pour le plaisir des vrais amoureux du foot. De grâce, que tous ces savants-analystes-experts se taisent juste le temps de nous laisser savourer les passements de jambes de Neymar, les accélérations foudroyantes de Samuel Eto'o et les passes lumineuses de Pirlo. Même pendant les guerres, il y a des périodes de cessez-le-feu ! Non ?

P.S. : C'est quoi ce sourire en coin? Vous voulez savoir à quelle catégorie appartient l'auteur de ce texte ? Il suffit de demander !

Charles MONGUE-MOUYEME

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